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"La cour de récré, c'est la jungle": contre le harcèlement scolaire, comment l'école primaire fait face

Une salle de classe dans une école élémentaire à Paris, le 2 septembre 2019 (photo d'illustration)

Une salle de classe dans une école élémentaire à Paris, le 2 septembre 2019 (photo d'illustration) - Martin BUREAU © 2019 AFP

Alors qu'un plan interministériel contre le harcèlement scolaire est attendu, gros plan sur la prévention mise en place dans le premier degré.

Philippe Ratinet, le président du Syndicat national des écoles (SNE), se souvient d'un cas particulièrement compliqué l'année dernière dans une école élémentaire. Un élève harceleur violentait verbalement et physiquement élèves de sa classe et personnels de l'école.

"La réponse de l'inspectrice à l'équipe éducative a été de tenir jusqu'au 8 juillet (date des vacances, NDLR)", raconte-t-il pour BFMTV.com.

"Mais qu'est-ce qu'on fait des 27 autres élèves?" s'interroge-t-il. Un bon élève, stigmatisé par cet enfant, a même fini par changer d'école. "C'était ubuesque." Ce n'est que depuis la rentrée qu'un élève responsable de harcèlement scolaire peut être transféré dans une autre école, évitant d'imposer ce changement à celui qui en est victime. Un exemple "extrême", selon Philippe Ratinet, mais qui montre la "violence" de certaines situations.

Entre 800.000 et un million d'élèves sont victimes de harcèlement scolaire, dont des écoliers. Selon un rapport du Sénat qui date de 2021, ce sont ainsi 12% des élèves du premier degré qui sont harcelés. Et pour quelque 5% d'entre eux, de manière "sévère".

Alors qu'un adolescent de 15 ans s'est suicidé au lendemain de la rentrée et que des parents dénoncent l'inaction de certains rectorats et chefs d'établissements pour lutter contre le harcèlement, quelle prévention est faite en amont, dès l'école primaire?

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Dix heures par an

Des dispositifs existent bel et bien dans le premier degré. Le programme pHARe -le plan de prévention du harcèlement à destination des écoles, des collèges et des lycées- est obligatoire dans toutes les écoles élémentaires. Il prévoit notamment dix heures par an pour tous les élèves du CP au CM2.

En plus de ce plan de prévention, le sujet figure dans les programmes scolaires. En cycle 2 -soit du CP au CE2- et en cycle 3 -du CM1 à la 6e- la lutte contre le harcèlement est inscrite dans l'enseignement moral et civique.

Parmi les attendus de fin de cycle, "le respect des autres dans leur diversité", indique la Direction générale de l'enseignement scolaire, avec comme objets d'enseignement "les atteintes à la personne d'autrui (racisme, antisémitisme, sexisme, xénophobie, homophobie, handicap, harcèlement)".

"Plus on travaille tôt ces compétences psychosociales, plus on a un climat scolaire apaisé", pointe pour BFMTV.com Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SnuIPP-FSU), le premier syndicat des enseignants du premier degré. Ce qui signifie dès la maternelle.

Rapport à l'autre, estime de soi, gestion des émotions

"La prévention du harcèlement passe par le savoir vivre-ensemble et c'est quelque chose que l'on apprend dès la petite section", assure Philippe Ratinet, du SNE. Le rapport à l'autre, l'estime de soi, la gestion des émotions: "Des compétences transversales", précise Guislaine David, qui peuvent aussi bien être abordées en motricité qu'en langue orale ou lors des pratiques artistiques.

Les enseignants font ainsi appel à des supports adaptés -livres ou albums- qui apportent "un point d'appui", poursuit la représentante du SnuIPP-FSU. "On transpose sur la vie de classe ce qui se passe dans le livre." Le ministère a également édité un cahier d'activités "Non au harcèlement" avec des séquences clé en main proposant une vidéo, un décryptage de la situation mise en scène et un temps d'échange avec les élèves.

D'autres pratiques peuvent également être mises en œuvre, ajoute Guislaine David. Comme le conseil de vie de classe mené conjointement avec les élèves ou la boîte à messages, pour les plus grands, afin d'évoquer un problème ou une difficulté de manière anonyme.

"Mais ce n'est pas une consigne nationale. Ce sont des initiatives d'équipes, locales, voire qui relèvent d'un enseignant en particulier."

Elle regrette ainsi que les professeurs du premier degré soient souvent seuls pour gérer des situations complexes, y compris pour les détecter.

Le "terreau" du harcèlement au collège

"Il y a beaucoup d'ignorance sur ce qui se passe dans les cours de récréation avec une forme d'optimisme naïf", pointe pour BFMTV.com Marie Quartier qui a fondé l'association Orfeee consacrée à l'étude et le traitement des souffrances scolaires et qui participe au programme pHARe. "Ce que me racontent les enfants est d'une telle violence. La cour de récréation, c'est la jungle."

Pour Marie Quartier, également membre du comité d'experts contre le harcèlement scolaire auprès du ministère de l'Éducation nationale, le défaut de prévention dans le premier degré "fait le terreau du harcèlement au collège".

"Presque tous les élèves qui ont subi du harcèlement dans le second degré l'ont été dès le primaire."

Pourtant, elle considère que les situations, si elles sont prises en charge tôt, peuvent être facilement désamorçables. "La méthode de la préoccupation partagée (ou Pikas, du nom de son inventeur, NDLR) est très efficace dans le premier degré."

Le programme pHARe s'articule notamment autour de cette méthode. Son principe: des rencontres régulières avec les intimidateurs d'une part et les victimes de l'autre afin d'impliquer les premiers dans la recherche de solutions pour les seconds. "En maternelle, une directrice d'école a réussi à dénouer en quelques semaines trois situations d'intimidation avec cette méthode", poursuit Marie Quartier. "Et les symtômes des victimes (énurésie, insomnie et enfant qui s'arrache les cheveux) ont disparu."

"La France a trente ans de retard"

Mais sur le terrain, la prise en charge des situations de harcèlement varient fortement d'un département, d'une circonscription, voire d'un établissement à l'autre. "Certaines écoles sont pro-actives sur la question du climat scolaire, d'autres complètement passives", observe pour BFMTV.com Laurent Zameczkowski, vice-président et porte-parole de la fédération Parents d'élèves de l'enseignement public (Peep).

L'un des freins, estime ce représentant de la Peep: une faible prise de conscience des formes diverses que peut prendre le harcèlement, passant ainsi "sous silence" de potentielles situations à risque. "Les directeurs d'école ne sont pas toujours sensibles à cette question", s'inquiète Laurent Zameczkowski.

"Ils ont parfois tendance à minimiser, ne mesurant pas l'ampleur du problème."

Certains parents inquiets s'entendraient ainsi répondre qu'ils sont trop protecteurs et qu'il ne s'agirait que de chamailleries entre enfants. "Mais on ne peut pas prendre ça à la légère", s'insurge le représentant de la Peep.

"La France a trente ans de retard sur le sujet. On met encore le harcèlement au même niveau que des problèmes fonctionnels. Et ce sont les enfants qui paient le prix fort."

Ce que confirme Marie Quartier, la spécialiste du harcèlement. "Ce ne sont pas de simples 'chamailleries'. Les brimades, la solitude, l'absence d'un adulte associés à l'effet de groupe qui valide le comportement: pour l'enfant, c'est comme s'il méritait ce qui lui arrive. Et les 'chamailleries' deviennent terrifiantes." Mais pour Marie Quartier, si les personnels de direction manquent de lucidité sur ce que vivent les enfants, c'est avant tout par manque de formation.

"Nous ne sommes pas formés"

Un point de vue que partage Florence Comte, directrice d'une école élémentaire dans le Var et secrétaire du Syndicat des directeurs et directrices d'école (S2DÉ). "Nous ne sommes pas formés", déplore-t-elle pour BFMTV.com.

Elle-même dit avoir été "initiée" à la question du harcèlement lors de deux réunions de deux heures à l'initiative de l'inspectrice. "C'est trop peu mais beaucoup n'ont rien du tout" - pour d'autres, c'est parfois quelques heures à distanciel. Si Florence Comte a ainsi pu se doter d'une grille de signaux faibles caractéristiques d'une situation de harcèlement, elle affirme que nombre de ses collègues n'en disposent pas.

Dans son établissement, Florence Comte a ainsi pris plusieurs initiatives. Notamment un "banc de l'amitié": un banc décoré et coloré situé au milieu de la cour de récréation où les enfants en manque de compagnie peuvent s'installer, signifiant ainsi aux autres leur recherche de camarades - "ça marche, ça permet de lutter contre le sentiment de solitude et de développer l'empathie même si ce sont souvent les mêmes qui viennent en aide au camarade isolé".

À partir du CE2, des "ateliers philo" sont également proposés. "L'idée, c'est de les faire réfléchir", analyse cette directrice d'école. Et pour les élèves de CM2, un "permis internet" -un programme national de prévention proposé gratuitement par la gendarmerie et la police- est mis en place. "Les gendarmes viennent en uniforme, ça les impressionne et le message passe."

Mais cette directrice d'école reconnaît que ces différents dispositifs "dépassent largement le cadre des dix heures" prévues par le programme pHARe. La présentation du plan interministériel consacré à la lutte contre le harcèlement scolaire est attendue ce jeudi.

N° vert "Non au harcèlement": 3020. Ouvert du lundi au vendredi de 9h à 20h et le samedi de 9h à 18h (sauf les jours fériés)

N° vert "cyberviolences": 3018. Gratuit, anonyme et confidentiel. Une équipe dédiée, composée de psychologues, juristes et spécialistes des outils numériques, Disponible 7j/7, de 9h à 23h.

Application 3018. Tchat, questionnaire, fiches pratiques et possibilité de stockage des preuves.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV