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TOUT COMPRENDRE. Trafics, violences… Pourquoi le quartier des Moulins à Nice cristallise-t-il autant de tensions?

Depuis le début de la semaine, de violents affrontements se déroulent au quartier des Moulins à Nice, expression d'une lutte de territoire dans le cadre des trafics de drogue et d'une insécurité grandissante.

"Ici, c'est pas le far-west", a martelé le préfet des Alpes-Maritimes Hugues Moutouh lors de sa venue au quartier niçois des Moulins ce mardi 26 mars. Ce jour-là, une rixe a éclaté en plein jour, moins de 24 heures après d'autres affrontements où des coups de feu ont été tirés.

Un quotidien récurrent pour les habitants du quartier qui tirent régulièrement la sonnette d'alarme face à l'insécurité grandissante dans ce quartier sensible de la ville azuréenne, classé comme quartier de reconquête républicaine.

• Un terrain de violences depuis le début de la semaine

Depuis le début de la semaine, le quartier des Moulins est le théâtre d'affrontements violents. Des coups de feu ont été tirés lundi lors d'une rixe entre bandes rivales. Au moins une personne a été blessée à la tête par un coup de batte de baseball.

Une enquête a été ouverte pour tentative d'homicide volontaire, violences aggravées et association de malfaiteurs, sans qu'aucune interpellation n'a pour le moment eu lieu, a précisé le parquet.

Le lendemain, une quarantaine de personnes, dont certaines cagoulées, se sont retrouvés place des Amaryllis, en plein cœur des Moulins pour s'affronter. Quatre mineurs non-accompagnés ont été blessés, dont un gravement. Un policier venu aider à disperser la foule a également été touché à la jambe par un projectile.

Là encore, une enquête a été ouverte pour participation à un groupement préparant des violences ou des dégradations et violences aggravées. Une personne a été placée en garde à vue, précise le parquet.

Enfin, ce mercredi matin, une vingtaine de personnes encagoulées se sont de nouveaux rassemblées près de l’allée Sœur-Emmanuelle. Si à l'arrivée des effectifs de police la foule s'est dispersée, 13 personnes ont tout de même été interpellées, dont dix mineurs, et elles ont toutes été placées en garde à vue.

Au total, 22 personnes ont été interpellées depuis mardi, dont la plupart sont "en situation irrégulière", note le préfet sur BFMTV.

• Un "méli-mélo" de tensions diverses

Ce climat "de fortes tensions" tire son origine de plusieurs sources de conflits entremêlées, selon le préfet des Alpes-Maritimes, invité de RMC puis de BFMTV ce mercredi. Ce dernier a confirmé que la genèse des expéditions punitives est un "méli-mélo", sur fond de trafic de stupéfiants.

"À l'origine de ses heurts, il y a d'abord un conflit de territoire pour le contrôle du trafic de stupéfiants entre des jeunes du quartier des Moulins et des étrangers en situation irrégulière dont la plupart sont des mineurs non accompagnés", explique-t-il.

"Et puis, il y aurait eu ces derniers jours, selon la rumeur publique, des comportements de harcèlement à l'encontre de femmes de la part de mineurs non accompagnés", a ajouté Hugues Moutouh.

• Des tensions récurrentes depuis plusieurs années

Par ailleurs, ces violences dans ce quartier se produisent, depuis des mois voire des années. Des tirs sont régulièrement entendus dans la cité, et des affrontements à l'arme blanche se multiplient.

Régulièrement, ces tensions éclatent sur des points de deal sensibles. Le 6 août 2022, un jeune de 20 ans a été tué par balles à proximité de la place des Amaryllis. Trois personnes ont été mises en examen pour meurtre en bandes organisées en février 2024 dans le cadre de cette affaire.

Les investigations évoquent un réglement de compte sur un point de deal disputé entre plusieurs équipes. Ce dernier a été démantelé en novembre 2023, mois où la CRS 8 a par ailleurs été déployée dans le quartier.

Gérald Darmanin s'était également rendu en décembre 2023 dans le quartier. Quelques heures auparavant, un homme avait été blessé gravement à l'arme blanche place des Amaryllis. Trois jours plus tôt, quatre personnes avaient été interpellées pour des tirs aux Moulins.

Le ministre de l'Intérieur avait, à l'époque, mis en avant son projet de loi Immigration en s'appuyant sur la situation aux Moulins, où la majorité des interpellés sont en situation irrégulière.

• Plusieurs actions pour endiguer les trafics

Le préfet des Alpes-Maritimes, qui fait de la lutte contre l'insécurité l'une de ses priorités, et la police nationale mènent des opérations régulières pour endiguer les tensions. Sur les 54 points de deal recensés dans le département en décembre 2023, douze se situent au quartier des Moulins.

Le préfet l'assure: des fonctionnaires de police sont constamment présents au quartier des Moulins pour tenter de faire régner l'ordre. Concernant les violences récurrentes, notamment les rixes, Hugues Moutouh a été ferme ce mardi:

"On va continuer à leur faire mal, et on va continuer notre guerre d'usure. Ils se lasseront avant nous."

Le Raid a déjà, par le passé, été déployé aux Moulins et cette semaine, c'est au tour de la CRS 81, dédiée aux violences urbaines, d'être mobilisée sur les lieux. Du côté de la mairie de Nice, Anthony Borré rappelle que depuis le mois de mai, "17 agents de sécurité privée, financés par les bailleurs et par la ville" sont sur le terrain.

Hugues Moutouh assure faire "la guerre aux dealers" et que la présence des forces de l'ordre "déstabilise les trafics". En un an, ce sont 400 opérations, dont des "places nettes", qui se sont déroulées dans le quartier. À BFM Nice Côte d'Azur ce mardi, le préfet a également souligné la saisie de plus de 30 kilos de drogue en un an aux Moulins.

• Une politique d'expulsion assumée par le préfet

Sur les 12 derniers mois, 955 personnes ont été interpellées en lien avec les trafics de drogue, dont 72% sont des étrangers en situation irrégulière selon le préfet. C'est pourquoi, la préfecture s'attaque également aux personnes en situation irrégulière présentes dans le quartier et assume mener, par conséquent, "une politique d'expulsion".

"Les consignes que je donne sont claires: on va là-bas, on interpelle et on expulse. L'expulsion est une arme indispensable."

Néanmoins, les mineurs en situation irrégulière, qui font par ailleurs partie de la majorité des interpellations ces derniers jours aux Moulins, ne peuvent être expulsés selon la convention internationale.

• Une guerre politique pour un retour à l'ordre

Si les violences semblent avoir monté d'un cran aux Moulins, les politiques continuent de se renvoyer la balle et demandent plus de moyens de part et d'autres.

Ainsi, si Anthony Borré a remercié Gérald Darmanin d'avoir accepté le déploiement de la CRS 81, il appelle ce mercredi le ministre à "mettre en place un plan inédit". Il s'est aussi dit favorable à une intervention temporaire de l'armée, plus particulièrement la "force Sentinelle", pour faire revenir l'ordre aux Moulins.

Le député Éric Ciotti considère quant à lui que les moyens mis en place par Gérald Darmanin sont du "baratin" et pointe du doigt des opérations de communication. "Cela fait des années que l’on nous annonce des moyens exceptionnels", rappelle-t-il sur BFM Nice Côte d'Azur ce mercredi 27 mars en évoquant la venue de Jean Castex à Nice il y a quatre ans.

Un constat partagé par certains habitants, qui ont expliqué à BFMTV voir se répéter constamment le même schéma, où un grand nombre de membres de forces de l'ordre arrivent d'un coup avant de repartir. "Dans deux mois, tout le monde s'en fout mais nous on continue à le vivre", déplore un habitant.

"On fait tourner des compagnies de CRS façon Monopoly", a écrit Éric Ciotti sur son compte X. L'élu souhaite une action simultanée autour des narcotrafiquants et des consommateurs. Il demande une augmentation des amendes tarifaires pour ces derniers et de plus sévères sanctions pénales pour les dealers.

"Ce qu’il faut, c’est laisser faire les enquêtes, avec les magistrats et la police judiciaire, traquer les réseaux et surtout expulser les clandestins qui sont au cœur des affrontements", a-t-il martelé sur BFM Nice Côte d'Azur ce mercredi soir, exigeant que l'État "prenne ses responsabilités".

En ce sens, le président des Républicains balaye également le souhait d'Anthony Borré de faire venir l'armée. "L’armée n’a pas de compétences en matière de police judiciaire, ça traduit une forme d’incompétence du premier adjoint pourtant en charge de la sécurité", tacle-t-il.

Juliette Moreau Alvarez